Témoignage d'
André 
MULLER 

 

Première
rencontre 
1979

En tant 
que collègue de France 3 Alsace
(André, caméra à l'épaule,
 a souvent accompagné
 Eric sur les lieux de tournage),
complice et confident 



Dernière
rencontre
2000

 

Depuis juin 2010, 
présentateur,
 réalisateur
 et concepteur 
de l'émission A' Gueter
 
sur France 3 Alsace.

 

Le Prix Gourmand Awards mondial 2013
lui a été décerné
pour l'ouvrage A' Gueter édité fin 2012 :


A Gueter
70 rencontres et recettes
 issues de reportages dans la région
151 pages illustrées
Préface de Marc Haeberlin
Editions de la Nuée Bleue

Journaliste-reporter d'images,
 puis journaliste-Grand reporter 
à France 2 et France 3,
André a notamment participé
 entre six à dix fois à Roland Garros,
au Paris-Dakar,
au Tour de France.
Il a également tourné
 lors de la Coupe du Monde de 1998
et des Jeux Olympiques de Sidney en 2000.

Animateur-concepteur 
de reportages en alsacien
pour Rund Um
 

Micro d'Or du reportage sportif 
avec
Claude LAFUMA 
(prix remis au SPORTEL Monaco 
pour un reportage
 sur  le basket de rue à Schiltigheim,
 quartier des Ecrivains)

Caméra d'Or 
(prix remis par Charles Biétry
 / Sidney)

Trophée d'Or 
(prix remis par Gérad Holz 
 / Paris-Dakar)

 

Oui, ça devait être en 1979 que j'ai rencontré Eric pour la première fois. Un jour, Christian DANIEL qui gérait les émissions sportives à la Radio et à la Télévision, m'avait prévenu qu'il ne pouvait m'accompagner au handball à Sélestat et que je partirai avec un "géant" en tournage ! Au départ, j'étais impressionné parce qu'Eric était réellement très grand ! Je me sentais également intimidé car je savais qu'il était professeur de sciences naturelles, et comme je n'avais jamais eu trop d'atomes crochus avec l'Education Nationale, j'éprouvais une certaine crainte... Vite dissipée, car Eric avait la parole facile et me mettait à l'aise. Très rapidement, j'ai compris aussi qu'il était pointilleux, exigeant et qu'il avait une mémoire phénoménale ! Au début nous couvrions surtout le handball ensemble. Je filmais, lui assurait du direct à la radio, et je constatais qu'il avait en tête les noms, les numéros de chaque joueur de toutes les équipes ! 

Au fur et à mesure des reportages, nous sommes devenus très complices, des confidents ! Et pour cause, combien de fois sommes-nous partis le week-end ou en semaine, tous deux en voiture, pour aller sur les lieux de tournage ! Au fil des kilomètres, nous parlions de plus en plus librement, échangions en français comme en alsacien, sur nos vies, nos centres d'intérêt, nos joies et nos soucis. Bien entendu, il m'a appris beaucoup sur le monde sportif, mais aussi sur la faune et la flore par exemple. On pouvait évoquer certains papillons, admirer une libellule, discuter des champignons... Les retours dans la nuit, m'ont apporté une connaissance plus approfondie de la voie lactée, des étoiles; Eric m'indiquait brusquement une constellation dans le ciel et m'en donnait le nom ! On parlait aussi de confitures, de plats à concocter. Il me semblait être une véritable encyclopédie... de la même taille que lui ! Et avec sa mémoire, il aurait pu travailler dans de nombreux domaines; il aurait pu être astronaute comme médecin, profession qu'il évoquait d'ailleurs parfois et qui l'aurait attiré.

Durant ces voyages sur les routes alsaciennes, Eric appelait parfois sa mère, Elisabeth, et là j'avais l'impression que ce grand bonhomme médiatique redevenait le petit garçon qui écoute sa maman avec attention et respect ; c'était émouvant et beau. Un autre soir, nous sommes rentrés tard du FC Mulhouse et il m'a annoncé qu'il allait encore à l'autre bout de la France faire 800 km pour aider sa fille nouvellement étudiante à monter des meubles; je n'en revenais pas, d'autant que le lendemain il devait être de retour pour faire du montage, des enregistrements. J'avais souvent cette impression qu'il ne s'arrêtait jamais ! C'était presque surhumain !


© Claude HEYM

D'ailleurs quand il m'a annoncé qu'il partait en vacances quelques temps en Corse, je l'ai vu revenir quatre jours après pour se remettre au travail qui lui manquait déjà !

En fait, il m'a donné de grandes leçons de vie au niveau de l'énergie et des envies de faire, de l'action ! Il m'avait demandé si je voulais participer à l'animation de Sportshow; à ce moment-là, je ne m'en sentais pas véritablement capable, je me sentais plus à l'aise derrière la caméra que devant la caméra... Il me répétait : "Si on a envie de quelque chose, on peut aller où l'on veut !" C'est un effet que j'ai encore senti après son décès, comme s'il était toujours là pour me rappeler qu'on peut arriver à quelque chose qu'on s'est fixé si on en a l'envie réelle, l'énergie d'y
aller ! 

Durant ces années, j'ai été détaché vingt-cinq fois pour couvrir des missions de un à trois mois pour France 2 avec Gérard HOLTZ. Mais là encore je retrouvais Eric à m'encourager. Il lui est arrivé de m'appeler en Afrique, alors que j'assurais les images du Paris-Dakar... Il me racontait qu'il regardait tous les reportages et que je me débrouillais très bien. Toujours là à me faire des piqûres de rappel sur mes capacités et mes possibilités ! Je me souviens d'un Roland-Garros, jour de fête des mères avec de violents orages... J'avais couvert ma tête et ma caméra de gros sacs-poubelles en guise de protection, et je me suis retrouvé comme seul reporter à tourner des images; qui ont circulé sur les chaînes françaises comme les chaînes internationales. Là encore Eric m'a félicité ! Oui, il m'encourageait sans cesse. Lors de la Coupe du Monde 1998, durant un match qui se déroulait  à Marseille, Eric est arrivé avec le Président de la LAFA. Tout à coup, il me voit derrière la caméra, il se lève et bouge tel un peuplier avec ses branches au vent en me criant : "André, je suis fier de toi !"; puis il me prend en photo avec un polaroïd.

Oui, nous en avons partagé de bons moments forts en sport mais aussi dans notre vie plus personnelle. A une période, j'étais dans une phase un peu triste, de questionnements, je "rasais les murs",  mais Eric était là pour m'aider, m'entourer, il savait se montrer tendre, sensible, empathique... Quand à son tour, il semblait plus inquiet ou moins bien, j'essayais de trouver les mots, je donnais mon avis lorsqu'il me le demandait, que ce soit au niveau santé ou coeur... Oui, il nous arrivait d'avoir les larmes aux yeux, que ce soit des larmes de joie ou de tristesse. Oui nous nous sentions comme deux êtres entiers, donc sensibles aussi, et nous aurions pu paraître comme deux midinettes par moment; oui nous pouvions admirer un beau papillon se posant sur une fleur... 

Nous avions une belle complicité, je le sentais comme un frère... et nous avons bossé comme des fous ! Que ce soit pour des émissions sportives comme pour des émissions pédagogiques (Üss'm Schülersack...) en alternance avec les caméramans Gérard PASQUIER et Claude HEYM. Nous partions par exemple à 9 heures pour revenir à minuit, enchaînant la route et quatre-cinq reportages de suite. Parfois nous dépassions les limites, et quand je lui disais qu'on exagérait, il me répondait : "Mais non ce n'est pas travailler, c'est de l'amusement, du bonheur ce que nous faisons !"; et là je lui rappelais alors que lui portait un simple micro et moi une caméra de 10 kg sur les épaules depuis des heures ! 


©

Un soir nous avons aussi été présents au Racing alors que la température frôlait les - 15°; mais pas de problème pour lui. Eric était dans la cabine de retransmission et moi dans les tribunes. Eric m'avait apporté du carton qu'il avait déposé sous mes pieds pour que je sente moins le froid. A la fin du match, nous avons quand même passé un long moment à frotter nos mains et nos orteils dans la voiture !

Bien entendu, c'était rare mais il lui est arrivé de s'énerver. Lorsque nous avions cinq minutes de retard par exemple. Ou un soir lorsque je devais filmer un match avec le FCM : un caméraman de Canal + était à côté de moi, brusquement l'une de ses batteries de caméra est tombée. Gros bruit qui m'a déconcentré. Le temps que j'interrompe mon tournage pour observer ce qu'il s'est passé, un but est marqué; évidemment j'ai eu la malchance de ne pas l'avoir filmé. Eric est sorti de ses gongs ! J'ai eu la chance de pouvoir sauver la mise avec une vidéo interne au club, mais ça ne convenait pas à Eric. Jusqu'au retour à Strasbourg, il m'a morigéné ! Cependant le lendemain, il est revenu vers moi en présentant ses excuses, en regrettant son emportement, en m'avouant qu'il n'en avait pas dormi de la nuit; et il m'a serré dans ses bras. On ne pouvait rester fâchés longtemps !

On s'adorait, on se taquinait, on riait beaucoup... Lorsque j'évoquais mes footings ou mon bonheur de nager, il me disait que j'allais bientôt être body-buildé ! Je me souviens des sandwichs au camembert qu'il appréciait, qu'il emportait dans la voiture et que j'avais l'avantage de partager avec lui par l'odorat... Je me rappelle également des moments où nous devions parfois patienter quelques minutes à un endroit... Il me proposait alors des jeux... Du genre : on prend chacun 5 cailloux et on essaye de les lancer contre le poteau. Ou dans les locaux de France 3, sur le sol carrelé en damier noir et blanc, il prenait une pièce d'un franc et celui qui arrivait à la lancer vers la plinthe dans le carreau blanc gagnait. Idem avec une toupie, à celui qui arrivait à la faire tourner le plus longtemps. Oui c'était une détente de gamins, mais Eric là encore gardait son esprit Premier de la classe, cette envie de gagner...

Quand on arrivait sur un lieu de tournage, le silence se faisait. Il était la vedette, on lui demandait des autographes, plus qu'à un joueur de football ! Des admirateurs, des auditeurs, des téléspectateurs. Il ralliait tout le monde, la gente masculine comme la gente féminine.


© Claude HEYM

Les gens l'appréciaient. Et il aimait ça.  Il avait du charisme. Et un véritable talent de conteur... Il faisait vivre chaque match avec une façon qui lui était typique, et personne ne lui en voulait lorsqu'il prenait position contre l'arbitre et qu'il revêtait alors son chapeau de chauvin ! Bien au contraire !

Oui il m'a fait découvrir le milieu sportif, pas que le football ou le handball, le volley, mais également le rugby, le tir à l'arc, la boxe... J'ai appris tant du monde multisport par son intermédiaire. Eric était ouvert sur les choses, sur les gens, curieux de tout.

Bien sûr, je m'inquiétais parfois pour les douleurs qu'il éprouvait parfois. Mais pour lui hors de question d'opérer. Il ne voulait pas prendre du temps pour ça. Ca faisait des années, et ça passerait... Mais jamais je n'aurais pensé qu'il allait nous quitter si vite et si brutalement. Quelques jours avant, il m'avait encore appelé pour qu'on puisse se voir pour ses projets à la rentrée. Puis Claude LAFUMA m'a téléphoné pour m'anoncer  la terrible nouvelle. C'était impossible pour moi. Thierry Kieffer m'a confirmé les détails et à France 3 j'ai trouvé tout le monde effondré. Certes il vivait à 2000 %, mais comment une montagne comme lui peut-elle disparaître, comment une telle énergie peut-elle s'éteindre ?  Dur de l'admettre, de l'accepter.

Il y a deux -trois ans, Christian DANIEL, avec qui j'entretiens une belle relation d'amitié, m'avait invité chez lui. Comme souvent, Christian s'est mis au piano pour interpréter d'agréables chansons... A un moment, il me dit : "Tu sais, Eric n'a pas eu cette chance de vieillir comme moi, d'aller plus loin, de profiter de temps libres pour faire d'autres choses qu'il aurait aimé faire."
C'était émouvant, touchant.  Nous avions les yeux embués. J'ai répondu que ces mots feraient plaisir à Eric, là-haut dans les cieux !

Ca a été une belle idée de donner son nom à l'un des studios de France 3. La SIG a mis un panneau "Tribune Eric Sold" du côté où Eric avait l'habitude de travailler. Le trophée "Eric SOLD" de la LAFA est une brillante initiative aussi pour récompenser le fair-play sportif... Je pensais également que le Racing allait rendre hommage en attribuant son nom à une tribune. J'avais d'ailleurs écrit une lettre dans ce sens à Patrick PROISY à l'époque. J'espère encore qu'il y aura un jour une initiative dans ce sens. De là-haut, Eric doit suivre de près son Racing ! Quand je passe parfois à l'endroit où il repose, je pense : "T'es pas trop mal ici, avec tes parents."

En tout cas, tous ces moments avec Eric, toutes ces expériences, tous ces apprentissages, tout cet engouement pour mettre les gens en valeur et en contact, sont autant de fils que j'ai tricotés pour arriver à ce que je fais maintenant... Et je sais qu'Eric serait heureux de savoir comment j'ai évolué, comment j'ai osé faire des reportages en dialecte, proposer des idées d'émissions  et comment je les ai fait aboutir, comment je les gère avec sérieux et humour à la fois... avec cette différence, ce regard que j'avais déjà en filmant avec Eric. J'ai pu livrer ce que j'avais en moi, m'épanouir. "Dans la vie on peut faire tout ce qu'on a envie de faire, il suffit de le vouloir... " La phrase revient en écho. Je crois qu'il serait aussi ravi de savoir que mon fils Maxime qu'il avait emmené l'une ou l'autre fois dans les tribunes du Racing, dans la cabine de retransmission, voire un jour sur le banc de touche à côté de Gilbert GRESS, est devenu un grand gaillard de 29 ans, journaliste-reporter d'images, monteur et rédacteur sur NRJ12. 

Je pense souvent à Eric. Il est présent dans mon esprit et mon coeur.

S'il revenait là devant moi, je lui tomberais dans les bras, je pleurerais, je l'enlacerais comme les lacets de mes souliers.
Il me dirait peut-être : "Viens, dü junger Schnüfer, on va tourner ensemble !" 
On irait peut-être partager un repas et je lui raconterais ces treize dernières années. Il me répondrait qu'il est content, qu'il me l'avait toujours prédit ! Je lui dédicacerais mon livre. Je lui proposerais de concocter un plat pour une émission culinaire  A' Gueter
Je lui demanderais s'il veut bien que je l'initie à la pêche à la mouche, mais je ne suis pas certain du tout qu'il ait la patience pour cette activité !


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Je lui proposerais alors peut-être une partie de tennis au Lawn ou de pétanque comme on aimait bien le faire avant. Je lui montrerais mon vélo. On irait peut-être se promener dans les rues de Strasbourg tout en souriant et en parlant de nouveaux projets...


©

Et surtout, je ne pourrais pas m'empêcher de lui demander :
"Raconte, Eric, comment c'est là-haut dans la milichstrose, la voie lactée ? C'est donc toi qui illumines toutes ces étoiles dans le ciel ?
Dis-moi, mon ami, même là-haut, tu ne te reposes donc jamais ?"

 

  ITV du 9 août 2013

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